PressePierre Gervasoni
Juin 1989
Art Press Magazine n°137
« Jacques Braunstein a tout pour retenir l’attention. Une œuvre plastique originale élaborée à l’écart des tendances et du temps. Une légitime inspiration puisée dans le souvenir de l’holocauste qui emporta sa famille. Une logique de la création qui, tout en brassant des esthétiques opposées, tire grand profit d’une économie de moyens fondée sur l’emploi rigoureux de quelques fétiches. Bref, une passion positivement génératrice d’objets, superbes victoires de l’esprit sur la matière.
Sa première exposition parisienne évoquait un mémorial. L’espace, peu profond et bas de plafond, de la galerie accentuait l’impression pesante d’une visite d’un mastaba. L’usage systématique du miroir derrière la figure christique traduisait une volontaire dépendance de l’Autre à son aporie personnelle. La toute-puissance de la mémoire conditionnait évidemment la répétition d’un geste.
Du niveau essentiel de l’acte à celui, immédiat de la figuration, Jacques Braunstein se signalait donc par la reproduction d’une momie miniature bardée de cordelettes aux innombrables nœuds. Elle matérialisait aussi bien le corps des déportés froidement alignés que les membres de la Cène, recouverts d’un suaire froissé mais séduisant. Braunstein ne se contente pas d’établir un témoignage, même rehaussé de truculence baroque ou de distanciation post-moderne, il vise l’aliénation du regard. Et manie dans cette optique la collusion paradoxale des matériaux (pattes de poules et cachets de cire), des formes (la cordelette à mi-chemin entre le chapelet et les barbelés) et des références (une triomphale érudition qui concerne même son propre ego), dans une virtuosité trop continue pour être innocente. Le danger d’une telle œuvre n’est pas qu’elle dérange mais qu’elle ne soit pas perçue du tout, par excès de stylisation.
C’est ce qui s’est produit, mais une seule fois, avec Psychose. Lilith défigurée et surmontée d’un corbeau ne représente plus l’humaine condition au penchant négatif, mais le cadavre en putréfaction avancée de la Mère. Le totem réduit à l’anecdotique épouvante ».