PresseMORTELLES MAGNIFICENCES

« Toute chair est comme l’herbe, Et tout son éclat comme la fleur des champs. L’herbe sèche, la fleur tombe ; Mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement » (XL, 6-7)

« L’homme né de la femme ! Sa vie est courte, sans cesse agitée. Il naît, il est coupé, comme une fleur. Il fuit, il disparaît, comme une ombre ». Livre d’Ésaïe

« L’homme dans sa grotte, mortellement seul, inspiré par le millénarisme de la pierre, confectionne, jour après jour et avec diligence, des objets porteurs de signes. Son destin lui semble accablant, indigeste et incompréhensible. Il est hanté par les spectres de l’histoire. Un destin si difficile à porter, que sa respiration en est calcifiée, pétrifiée. Depuis son enfance volée, l’homme s’est vu confier une mission lourde de sens : révéler l’horreur humaine. Ce devoir, noeud après noeud, est son combat quotidien et obsessionnel mais est, surtout, à force de persévérance, devenu la victoire de sa vie.

Quand il écrit ses messages plastiques, Jacques Braunstein offre ainsi une création sertie par une multitude de symboles. Rien de lui n’est abrégé parce que l’horreur est intrinsèquement compliquée. Il faut ainsi gratter, dépecer, taillader ses signes d’outre-tombe, parfois jusqu’à ce que les larmes de sang coulent. C’est le seul moyen pour découvrir le réel univers de l’artiste. Il ne faut pas se contenter de regarder son oeuvre, il faut s’en abreuver car elle est un nectar qui touche aux aspects les plus sensibles et les plus vrais
de la condition humaine.

Jacques Braunstein nous donne tant à voir de cette réalité souvent cachée qu’il nous renvoie à un état oublié : l’humilité.

Sa réflexion l’a ainsi conduit à réinventer la Vanité, ce type pictural illustrant, de façon symbolique, le thème philosophique de l’inéluctabilité de la mort, de la fragilité des biens terrestres et de la futilité des plaisirs. Usant de natures mortes et allégories, bien que lié au dogme chrétien de l’état de grâce, ce genre a été élargi par Jacques Braunstein à un universalisme religieux. La mort vue par l’artiste est transcendée par une esthétique enivrante inspirée par l’invisible et la terreur de la Shoah.

Pourtant, au-delà de la Shoah, sa création révèle un thème ancestral, apparu dès l’antiquité. Le thème de la mort, de la fuite du temps et de la fin de toute chose a certes toujours questionné l’homme. Mais plus que tout, ce thème a déterminé la vie de Jacques Braunstein qui, dans ses songes et son imaginaire, a participé aux danses macabres entraînant l’humanité toute entière dans leur ronde. Sa spiritualité l’a conduit à comprendre ce que peu d’hommes savent et acceptent : il a eu la force, dès son plus jeune âge, de contempler son cadavre dans le miroir.

L’ENFANT À LA BALLE, enseveli dans son linceul et L’AUTOPORTRAIT de l’artiste avec ce crâne connecté au divin proposent, sans aucun doute, un répertoire iconographique qui symbolise incontestablement la mort, mais aussi son alliée, la vie et ses richesses terrestres. Fleurs fanées, pierres cristallisant la destinée des fossiles, squelettes et ronces sont associés par l’artiste aux bijoux, aux couleurs lumineuses, aux tissus soyeux et aux croix pour évoquer l’orgueil de l’individu face à sa condition. Situant parfaitement l’homme dans l’univers, il insiste, malgré son statut d’artiste, sur l’insignifiance des oeuvres humaines, face à celles de Dieu. Il collecte d’ailleurs modestement les matériaux qui constituent son oeuvre même s’il les entoure des symboles de ma connaissance. Les emblèmes des sciences, des arts et surtout des religions avec une approche kabbalistique sont pour lui ceux de la prétention humaine et les livres, l’hébreu et le parchemin se transforment en TALISMAN. Jacques Braunstein pose ainsi une question : Savoir n’est-ce pas commencer à dépérir ?

L’oeuvre de l’artiste ne veut pourtant pas donner de leçons car conformément aux versets de l’Écclésiaste – VANITAS VANITATUM, ET OMNIA VANITAS – VANITÉ DES VANITÉS, TOUT EST VANITÉ – et du Livre de Job – il affirme le repentir en faisant des millions de noeuds qui viennent, depuis des années, ponctuer de façon récurrente son oeuvre codifiée. Regarder son oeuvre, entre le visible et le palpable, entraîne certes vers les cieux de la morale, non pas celle définie par un XIXème siècle conventionnée et cloisonnée, mais celle, se rapportant à une éthique humaniste emprunte de vie. Ses noeuds sont symbole d’humilité et de la puissance de Dieu pour rappeler que l’artiste n’en reste pas moins homme. Chez Jacques Braunstein, le genre de la Vanité malgré la préciosité de ses matériaux n’est ainsi pas un prétexte à la représentation savante de luxure. L’artiste se situe en permanence dans le dépassement et l’excellence et, pour ce faire, use du labeur à son extrême jusqu’à atteindre dans son esthétique, l’extase mystique. Ses noeuds, jour après jour, sont ainsi là pour oublier et pour inscrire.

Tels le philosophe et l’ermite, en faisant des noeuds par millions, il rappelle que seules l’étude et la méditation permettent d’atteindre la sagesse. Comme les anciens et les ermites, il ramène l’homme face à sa condition, qui ne peut obtenir la connaissance et le salut qu’avec l’aide de Dieu.

Le propos de l’historien de l’art voudrait classer sa création parmi une de ces écoles, un de ces mouvements, mais l’artiste est au-delà de ça. Il n’est non seulement pas localisable dans le temps mais également dans l’espace. Son ENFANT À LA BALLE peut être celui de tout le monde, sans appartenance ethnique. Ses VIERGES sont à la fois musulmanes, juives et chrétiennes… Quant à sa réflexion, elle n’appartient pas à un groupe, elle appartient à l’univers. Une réflexion qui ne s’encombre pas de détails, mais s’y attache pour devenir globale.

Le travail de l’artiste est rare, à tel point qu’il fait jouer avec subtilité l’intellect et le ressenti, une alliance si difficile à tenir et pour laquelle Jacques Braunstein a trouvé l’équilibre. Il montre la puissance réelle de la mort non pas pour effrayer mais pour que nous appréciions chaque souffle, chaque cri, et toutes les jouissances de ces instants donnés. Sous des premiers aspects de tristesse, les sculptures, peintures et installations de l’artiste sont une explosion de bonheur.

La Vanité est le genre pictural auquel s’attache Jacques Braunstein, exhortant le spectateur à l’élévation de son âme. Abandonné au XVIIIème siècle, ce genre rencontre un regain d’intérêt à partir de la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle avec Paul Cézanne, Max Ernst, Paul Klee et Andy Warhol. Plus que jamais nécessaire à l’homme, les Vanités de Jacques Braunstein participent à une acceptation nécessaire au bonheur, celle qui nous fait admettre que nous ne sommes que poussière, rien d’autre que de la terre. »

CHRYSTELLE LAURENT
Historienne d’Art
Attachée de conservation
Mai 2005