PresseL’oeuvre dangereuse de Jacques Braunstein

« L’œuvre actuelle de Jacques Braunstein relève à la fois de la peinture, de la sculpture et de l’objet de culte mais avec un caractère obsédant qui en définit de manière péremptoire l’étrange singularité.
Lorsqu’il pénètre dans son atelier, le visiteur est saisi par l’atmosphère insolite et volontiers pesante qui y règne : les murs, les meubles, les vitrines sont recouverts à profusion d’objets étranges, souvent agressifs et menaçants. Ce ne sont que sexes cloutés ou emmaillotés, personnages enchaînés et crucifiés,masques douloureux, tout un univers déconcertant qui unit le profane et le sacré, l’image familière et la vision obsessionnelle, le quotidien et la magie. En dépit de l’ordre impeccable qui préside à l’agencement de cette pièce aux murs uniformément blancs, le visiteur reste médusé par la présence lancinante des objets dont il n’ose s’approcher qu’avec des précautions de chat, de crainte de se crever un œil au contact d’un personnage au long dard acéré ou de se transpercer la main sur une statuette hérissée de centaines d’épingles.
Passé le premier moment d’étonnement, on comprend vite que ces objets conçus autant pour célébrer que pour déranger, inquiéter et faire réfléchir entendent d’abord témoigner contre la haine, la cruauté et la barbarie auxquelles aujourd’hui encore n’échappent pas les sociétés les plus policées. Au-delà de la profusion des symboles, la multiplication des références magiques ou religieuses, le jaillissement permanent des archétypes, la violence et la mort sont les thèmes fondamentaux de cette activité prioritairement éthique. Peintre, capable de grands raffinements, Jacques Braunstein essaie d’oublier qu’il est plasticien afin de retrouver la liberté et la spontanéité de l’art brut ou des sociétés tribales.
Cette attitude implique une transgression permanente du sentiment religieux, un fort investissement énergétique et biologique, nombre d’objets renfermant par exemple des cheveux ou du sang. Ainsi cette oeuvre n’est-elle pas construite jour après jour avec patience et méticulosité dans le but de plaire et de rassurer mais au contraire dans celui de questionner et d’inquiéter. En jouant sur les tabous, les archétypes, les fantasmes, les interdits, le malsain, l’insolite ou le merveilleux, elle révèle et dénonce en profondeur. C’est de cette aptitude à mettre à mal nos ruminantes certitudes qu’elle tire sa force exemplaire.
Elle est une œuvre dangereuse, de celles dont on ne revient pas lorsqu’on a eu la chance de s’en approcher et de s’en laisser pénétrer ».

FRANÇOIS PLUCHARD
Écrivain, critique d’art.
Avril 1987